Vent. Pluie. Humidité. Ces trois mots résumaient parfaitement la journée. Une journée qui avait d’ailleurs commencé d’une manière plutôt étrange. Etrange pour ne pas dire terrible, affolant, choquant voire… dangereux ?

Cealicia habitait à Brâkmar depuis qu’elle était née. Fille de parents grossiers et bordéliques, elle avait décidé de partir vivre toute seule et de laisser son passé derrière elle : ses parents lui rappelaient de mauvais souvenirs : jamais elle ne leur pardonnerait de l’avoir humiliée devant ses amis… Ses seuls amis.

Ainsi, elle avait emménagé dans une petite maison : n’ayant pas forcément les moyens pour s’offrir un manoir, cela lui suffisait amplement. Elle n’avait pas de plaisir à avoir trop de choses, cela finissait toujours dans un placard, abandonné dans un coin poussiéreux. La seule chose qui comptait énormément pour elle était ce petit Chienchien avec lequel elle vit depuis maintenant quelques années. Et son travail qui lui permettait de survivre : Cealicia travaillait à la taverne en tant que femme de ménage : un travail pas très ambitieux, mais peu importe… Elle y avait de bonnes relations avec les clients et les employés. Souvent, la journée se terminait autour d’une petite bière en fin de soirée. Une activité bien sympathique en fin de compte.

Seulement… Lars n’était plus là depuis ce matin. D’habitude, c’est lui qui le réveillait en montant dans son lit lui chatouiller les pieds. Elle avait beau avoir fouillé dans toute la maison, crier dans tout le quartier, le silence total : il avait disparu. Tout simplement disparu. Ce n’était pas son genre pourtant : Lars était fidèle et ne quittait jamais sa maîtresse.

En plus de se demander où Lars était parti, Cealicia avait l’impression que sa maison était différente, comme si quelque chose avait changé. Mais quoi ?

Quand Cealicia revenait de sa journée de travail, assez tard le soir, elle avait le réflexe d’ouvrir sa boîte aux lettres pour se tenir informée d’un éventuel courrier. Elle n’aurait pas dû le faire ce soir.

Ce qu’elle y avait trouvé était bouleversant. Un bout de papier déchiré. Quelques mots y étaient inscrits.




Cealicia tenait le papier très fort dans sa main. Si fort qu'on aurait cru qu'elle voulait le détruire, ne jamais l'avoir découvert.
-Je… je ne comprends pas. Qu’est-ce que c’est ? Pourquoi moi ? disait-elle

Elle tremblait de tout son corps : elle fila se réfugier à l’intérieur de sa maison. Le seul endroit où elle pourrait être en sécurité… Enfin, pour l’instant.

Une chaise en bois vieilli, quelques petits meubles qu’elle trouvait par-ci, par-là. Et puis une autre chaise : tout ce qui pouvait servir à la protéger de ce qui la menaçait était bon à prendre pour barricader la maison. Elle n’avait pas confiance en la serrure : celle-ci était vieille et commençait à rendre l’âme.

« Voilà, au moins une bonne chose de faite ! » pensait Cealicia.

Machinalement, elle regarda dans le coin gauche de la maison, à côté des étagères : ici c’était la place de Lars. Elle l’avait vraiment chouchouté ! Il avait presque plus de place que sa maîtresse !

Et la voilà qu'elle se mettait à pleurer : tout ce stress et toute la fatigue la rendaient de plus en plus parano, d'ordinaire si joviale...

« Comme quoi, ça n’arrive pas qu’aux autres… Enfin, trêve de bavardages, je dois réfléchir à pourquoi j’ai reçu ce papier. De qui peut-il s’agir ? »

C’était peut-être un collègue de travail, une amie ou bien… quelqu’un de sa famille.

« Non ! Ce n’est pas possible ! » Elle regrettait d’avoir eu cette pensée : même si ses parents ne l’appréciaient guère, ce n’était pas au point de lui faire un coup pareil.

Cealicia songeait fort à son chien en espérant qu’il était encore en vie.

« T’inquiète pas mon petit, maman va venir te sauver… Celui qui t’a fait ça va le payer cher… »

Un court regard vers la fenêtre : la nuit s’était installée. C’était l’heure pour elle de dormir, la première fois qu’elle dormait toute seule depuis qu’elle avait son compagnon.

Elle se dirigea vers son lit et tira la couverture. Une fois dedans, Cealicia posa sa tête sur son oreiller. Quelques secondes plus tard, elle se releva : l’oreiller n’était pas positionné comme les autres jours. Elle le souleva.

« QUOI ? IL A RÉUSSI À RENTRER DANS LA MAISON ? » criait-elle.

Un autre bout de papier était là, semblable à celui qu’elle avait trouvé tout à l’heure.

Elle tendit la main et le prit.




« En plus il se fout de moi… Peu importe, si je veux pouvoir continuer de réfléchir demain, je dois dormir. Et puis, peut-être que tout cela n’est qu’un mauvais rêve… »

Persuadée d’être persécutée, ce n’est qu’après un long moment que le sommeil eut raison d’elle.

Une longue nuit commençait.

Alors que la pauvre femme gesticulait pendant son sommeil -terrible preuve de sa nervosité-, Umarth était en train de s'habiller dans le but de rejoindre Telmor, son associé dans cette affaire.

Une capuche bleutée et une cape noire étaient les habits caractéristiques de leur bande. Enfin, clan serait un nom plus approprié pour désigner cet ensemble de malfrats. S'habiller de cette manière leur permettait de se reconnaître entre eux : leur visage était caché par une sorte de masque pour préserver l'identité de chacun.
Car si Cealicia pensait être la seule victime de leurs magouilles, elle se trompait. Umarth et Telmor, des noms de code, appartenaient tous les deux au Clan pour offrir leurs services et recevaient en retour des bourses. Bien-sûr, le montant variait selon la difficulté de la mission. Ici, il s'agissait d'une requête plutôt simple : en conséquence, le gain était relativement modeste. Mais vu que c'était la première mission d'Umarth, le Clan avait décidé de lui confier la tâche la plus facile.
Pour l'accompagner, il avait été décidé que Telmor, un des membres les plus actifs et les plus intelligents, l'accompagnerait. En gros, il était là pour voir si l'autre ne faisait pas de bêtises.
Mais pour cette fois, ce n'était pas une véritable mission, c'était un test réalisé par les dirigeants de l'organisation pour s'assurer du potentiel de leur nouvelle recrue. La victime avait été désignée au hasard parmi les citoyens de Brâkmar. Les informations essentielles lui avait été communiquées : son travail était de faire en sorte que la femme se suicide en pensant que son chien était mort.
Bien-sûr, Umarth n'était pas au courant de tout cela.

Umarth attrapa son masque, sortit par la porte de derrière et lança un regard rapide vers la droite et vers la gauche pour s'assurer que personne ne l'épiait. Il se rendit à la taverne dans laquelle Cealicia travaillait pour finaliser le plan avec son acolyte.
Une fois arrivé, il aperçut Telmor, lui fit un signe de tête pour lui dire de rentrer et ils choisirent de s'asseoir près de l'entrée : la place idéale pour surveiller le passage.

-"Bon. Si tout se déroule comme on l'a prévu, elle devrait avoir pris connaissance des indices qu'on a laissés sur place. Maintenant ce qui va suivre dépend uniquement d'elle. On a deux possibilités. La première, c'est qu'elle en parle à personne et devienne de plus en plus tarée : ce qui serait le plus simple pour nous. La deuxième, c'est qu'elle se confie à quelqu'un, et là ça peut devenir problématique. Mais les problèmes apporteront un peu de piment. Ce que je propose c'est de continuer à faire apparaître différents indices, et notamment ici, à la taverne. Je vais écrire un autre message dans le but de l'amener à se rendre chez ses parents et là-bas elle y trouverait différents poils de son chien rouges de sang. Qu'en penses-tu?"

-"Hmm... Ca me parait pas trop mal. On va faire ça, je te laisse prendre les décisions de toute façon. Si jamais tu rencontres un soucis avant notre prochaine entrevue, tu m'envoies un message accroché à l'un de tes tofus. Mais reste discret au cas ou le tofu venait à être réceptionné par quelqu'un d'autre."

La petite recrue ramassa un journal qui traînait par terre et écrivit quelque mots dessus. Leur rendez-vous était terminé et le prochain était fixé à dans trois jours.

-"Bon. Sortons d'ici." dit Telmor.

Umarth prit le chemin du retour vers sa maison. De son côté, Telmor en fit de même.

Le soleil se levait, une nouvelle matinée commençait.
Elle avait mal dormi, très mal dormi et n'avait pas envie de travailler aujourd'hui. Mais que pouvait-elle faire ? Envoyer un tofu express à son patron pour lui dire : "Désolé, aujourd'hui je ne travaille pas. La bise." Et puis quoi encore ? Une augmentation de salaire ? Il risquerait surtout de baisser le sien. Peut-être avait-elle de bonnes relations avec les employés, mais pas avec le chef. Il veut du bénéfice lui, il en a rien à faire des employés !

Ainsi, Cealicia se leva et alla se préparer. Une trentaine de minutes plus tard, elle se regardait dans le miroir et découvrit son visage : "Ces cernes... ils vont penser que je suis allée faire la fête toute la nuit ! Pourquoi tant d'acharnement ? Qu'est ce que j'ai fait au juste? Je mérite pas ça moi !"
"Pas question que je travaille comme une folle aujourd'hui... je leur dirai que j'ai mal dormi, et que le lendemain je me rattraperai. De toute façon, le patron passe rarement, il préfère se balader à Madrestam et ricaner avec ces filles..." pensait-elle.

Une fois sortie dehors, Cealicia s'assura qu'elle avait bien fermé la porte. Mais à quoi ça servait au final? Il avait bien réussi à rentrer une fois, alors ce ne sera pas difficile de recommencer.
"Direction la taverne ! Tu parles d'un métier..." Sur le chemin, elle se demandait encore ce que signifiaient ces papiers. "On joue avec moi, on essaie de me rendre folle, et on me rendra mon chien... Et le lendemain, tout recommencera, comme avant."
"Tu parles, si on t'a fait ça c'est qu'on te veut du mal ! C'est pas drôle si tu t'en sors sans égratignures, c'est pas ce qu'ils recherchent ! " Elle était en conflit intérieur avec sa petite voix, celle qui était pessimiste au plus haut point... Mais, elle n'a pas l'air d'avoir tort.

Arrivée au travail, elle ouvrit la porte et réalisa une fois de plus toutes ces tâches monotones... Laver ce qui est sale, ramasser et remettre les objets à leur place initiale... Donner l'impression qu'on prend soin des clients...

-"Salut ! Déjà là? Tu dois t'ennuyer..."  lançait Ygal. C'était un collègue qui était arrivé pendant qu'elle nettoyait, il était chargé de faire le boulot que tous les taverniers connaissent si bien : faire boire le client et lui faire dépenser son argent.
"-Salut Ygal... Tu sais chez moi, y'a pas trop de choses pour s'amuser... Alors plutôt que de rien faire, je suis venue travailler..."
Il n'observait rien d'anormal chez elle aujourd'hui.
"-Dis... j'ai remarqué deux types louches hier soir à cette table." Il lui montrait la table du doigt. " Je les regardais un peu mais je ne voulais pas qu'ils pensent que je les surveillais, alors j'ai pas tout entendu mais..."
-"Mais quoi ? Continue! "
-"Ils ont laissé un mot sur un journal qui traînait par terre, regarde le. C'est pour toi, je crois..."
Elle prit le journal dans ses mains et lut avec attention.



"Ca va ? Tu deviens tout..."
-"TAIS TOI !" cria-t-elle. C'était la première fois qu'elle l'avait coupé depuis qu'ils s'étaient rencontrés.
Elle laissa tout en plan et quitta la taverne, prenant bien soin de claquer la porte derrière elle.